Interviews sur les Animatronics de Jurassic Park 3 avec Stan Winston

Propos recueillis par Laurent De Groof © (Bruxelles 2001)

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  Hyperliens vers les propos de l'interview

Quand avez-vous attrapé le virus du cinéma ?

Que s'est-il passé ensuite ?

Quel est le principe de l'animation d'image par image (ndlr : en anglais, stop motion animation) ?

Durant votre carrière, vous avez collaboré avec des réalisateurs qu'on pourrait davantage qualifier d'artistes, comme James Cameron, Tim Burton ou encore Steven Spielberg. Comment décririez-vous Joe Johnston et son travail sur " Jurassic Park 3 " ?

Votre travail n'est-il pas de rendre les poupées crédibles ?

Comment peut-on arriver à faire jouer une marionnette ?

Vous considérez-vous dès lors comme un acteur ?

" Jurassic Park " et " Lost World " ont été considérés comme un nouveau pas dans l'évolution des effets spéciaux. Avez-vous le même regard sur " Jurassic Pak 3 " ?

Que faites-vous de vos dinosaures à la fin du tournage ?

Pouvons-nous parler de réelle compétition dans le milieu des effets spéciaux ?

 

" Je dirige un studio qui crée les meilleurs animatronics et robots au monde, mais je ne connais rien en mécanique. "   Depuis ses débuts dans le maquillage, Stan Winston nous a offert quelques uns des plus charismatiques personnages du cinéma comme le Terminator, les pingouins de " Batman Returns ", le Predator, la reine de " Aliens " et bien entendu les célèbres dinosaures de " Jurassic Park ".   Récompensé par deux Oscars et de plusieurs Emmy Awards, Stan Winston dirige aujourd'hui l'un des plus grands studios d'Hollywood. Il est sans conteste l'un des meilleurs magiciens des effets spéciaux actuels. 

Quand avez-vous attrapé le virus du cinéma ?
 S. Winston : J'ai fait mon premier film à l'âge de douze ans. C'était un court métrage en 8 mm dans lequel je me transformais en loup-garou après avoir été mordu par un berger allemand. Ensuite, je mordais mon ami qui se changeait en vampire et on finissait par s'entre-tuer. (rires) J'avais douze ans et c'était mon premier film !

Que s'est-il passé ensuite ?
 
S. Winston : Après mon apprentissage à l'université de Virginie, j'ai collaboré pendant trois ans avec les studios Disney en Californie. J'ai suivi une formation de quelque 6000 heures. Ensuite, j'ai travaillé sur mon premier long métrage de télévision : " Gargoyles " pour lequel j'ai remporté un Television Academy Award. Le film qui m'a apporté la véritable consécration fut " Terminator ". J'ai fait beaucoup de films à succès avant cela mais c'est celui-ci qui m'a offert la reconnaissance. C'était un scénario extraordinaire, dirigé par un nouveau réalisateur dans le milieu. James Cameron, qui a écrit et réalisé le film, est un artiste brillant qui a conçu le Terminator de toute pièce. Il avait déjà fait des esquisses du robot avant de venir me trouver. Il m'a montré ses peintures de l'endosquelette et on l'a créé en trois dimensions. James Cameron voulait au départ que je m'occupe des effets de maquillage, notamment pour la scène où l'on voit la robotique du personnage sous la peau humaine. Il désirait que tout se fasse en animation d'image par image. J'avais beaucoup travaillé avec des poupées et des animatronics à cette époque, je venais d'ailleurs de finir le chien du film de John Carpenter " The Thing ", et je lui ai proposé de construire le " Terminator " en taille réelle. J'ai utilisé différentes techniques reprises de Jim Henson pour " Dark Crystal ". Depuis mon travail sur " Terminator ", on ne me considère plus uniquement comme celui qui ne fait que des maquillages, mais comme un artiste de la robotique.

Quel est le principe de l'animation d'image par image (ndlr : en anglais, stop motion animation) ?
 
S. Winston : Pour l'animation d'image par image, on utilise une petite poupée qu'on bouge et qu'on filme image par image. C'est le type d'effets qu'on a utilisé pour " King Kong ". C'est la base de l'animation avant l'arrivée des images de synthèse. On peut voir également cette pratique dans " Jason and The Argonauts ".

 Durant votre carrière, vous avez collaboré avec des réalisateurs qu'on pourrait davantage qualifier d'artistes, comme James Cameron, Tim Burton ou encore Steven Spielberg. Comment décririez-vous Joe Johnston et son travail sur " Jurassic Park 3 " ?
 
S. Winston : J'adore collaborer avec des réalisateurs " visionnaires ". Ce qui manque singulièrement dans ce milieu. J'ai eu beaucoup de chance de travailler avec des auteurs tels que Jim Cameron, Tim Burton avec son univers cartoonesque et Steven Spielberg qui est certainement le plus grand réalisateur au monde au niveau de l'étendue de sa production. Il est inégalé à ce jour. D'autres metteurs en scène ont certainement dirigé de meilleurs films que lui mais il est le seul à avoir su passer d'un des plus grands thrillers du cinéma comme " Jaws " à un film familiale tel " E.T. ", un film d'aventure avec " Raiders of The Lost Ark " ou " Close Encounters of The Third Kind ". Il a réalisé " Jurassic Park " et " Schindler's List " la même année ! Il a surpassé Hitchcock ou Capra en terme de diversité. Il a tout fait. Joe Johnston est également un artiste et un réalisateur remarquable. Il a débuté dans la création artistique. Il a travaillé pendant des années chez I.L.M., il a fait du story board. Il a créé et dessiné le robot pour le film " The Iron Giant ". C'est un réalisateur qui sait véritablement travailler avec son entourage, et raconter une histoire. Il a fait auparavant un superbe film, " October Sky ". C'était une histoire incroyable. Il est impliqué dans chaque étape de ses films. C'est un vrai plaisir de collaborer avec quelqu'un comme lui car on sait que notre travail sera à l'écran dans sa plus belle forme. Il sait ce qui fonctionne ou non car on ne sait jamais si une poupée sera assez crédible. C'est au montage que tout se fait. Un bon réalisateur sait faire des choix, comme Joe Johnston. Lorsque je regarde " Jurassic Park 3 ", je m'aperçois que mon travail n'a jamais paru aussi beau. Il a choisi les meilleures images pour ce film. Il a su combiner synthèse et maquette avec les jeux des acteurs. Joe Jonhston est la raison de la réussite de " Jurassic Park 3 ". La star du film n'est pas le dinosaure, Stan Winston ou I.L.M. mais son réalisateur. Il est autant la vedette de " Jurassic Park 3 " que Steven Spielberg pour " Jurassic Park " ou James Cameron de " Aliens ". Il a pris tout le travail de Steven Spielberg, les créations de I.L.M. et de Stan Winston et les a surélevées à un niveau qu'on n'avait jamais vu auparavant. Le film a plus d'humour, plus de dinosaures, plus d'émotions, plus de tensions… On ne regarde pas uniquement un défilé de dinosaures mais des personnages et des créatures dans lesquels on croit et qui savent jouer. Lorsqu'on regarde les velociraptors du film, on les voit véritablement écouter, se parler, réagir entre eux et avec les humains.

Votre travail n'est-il pas de rendre les poupées crédibles ?
S. Winston : C'est en effet mon travail mais à la fin, l'intégralité du tournage appartient toujours au réalisateur.

Comment peut-on arriver à faire jouer une marionnette ?
 
S. Winston : Les poupées sont manipulées par des techniciens qui se transforment en acteurs. Les marionnettistes sont considérés aux Etats-Unis comme des comédiens. Ils font partie du syndicat des acteurs et sont payés et traités en tant que tels. Au générique des films ce ne sont pas des personnes des effets spéciaux ou des techniciens, ce sont des acteurs. Ils construisent les dinosaures, les dessinent ; et en font des acteurs. S'ils ne savent pas jouer, ils ne sont pas engagés.

Vous considérez-vous dès lors comme un acteur ?
 
J'ai débuté comme acteur mais je ne joue pas, je ne manipule pas les marionnettes, je ne suis pas un créateur d'effets spéciaux. Je dirige un studio qui crée les meilleurs animatronics et robots au monde, mais je ne connais rien en mécanique. Je possède une société d'image de synthèse, " Digital Domain ", mais je ne sais pas comment utiliser un ordinateur. Je ne sais même pas ce qu'est un giga byte. Je suis un artiste qui vient de la comédie. Je sais à quoi une créature doit ressembler et comment elle doit jouer. Mon seul souci est que mon personnage soit réaliste. Les velociraptors de ce film ne sont pas des marionnettes, des images de synthèse ou des robots mais des dinosaures / acteurs. C'est grâce à leur performance qu'on a peur d'eux. C'est très simple. Les acteurs croient en eux, ils en ont peur et c'est la raison pour laquelle on croit aux dinosaures. Sans eux, le film ne fonctionnerait pas.   Faeries : Ne pensez-vous pas que les images de synthèse gâchent un peu cette idée de performance ?   S. Winston : Je pense que certains réalisateurs ne savent pas les utiliser correctement. Ils se cachent derrière les images de synthèse. Certaines choses ne peuvent plus se faire sans image de synthèse mais il faut faire la part des choses. C'est un outil extraordinaire mais il faut savoir en faire bon usage. Ce qui ne veut pas dire que je ne veux pas voir des films entièrement en images de synthèse comme " Shrek " ou " Toy Story ", ni de dessins animés comme " The Lion King ". Il faut néanmoins un bon scénario pour appuyer la technologie. Les images de synthèse ne remplaceront jamais aucune autre technologie ou même la technique d'image par image. " Chicken Run " fait partie des plus gros succès de l'année dernière ! On ne doit pas avoir peur des nouvelles technologies. Aux studios Stan Winston on crée les meilleures créatures mécaniques au monde. Des dinosaures plus vrais que nature. Et pourtant, on ne remplacera jamais les Muppets. On ne prendra jamais la place de Kermit, la grenouille. Kermit sera toujours un poupée " chaussette ". Si Kermit était plus avancé qu'une marionnette, il ne serait pas ce qu'il est. C'est sa personnalité. La technologie ne remplacera jamais l'art. Ce n'est pas parce que je crée des animaux quasi réels que Kermit va mourir. Ce n'est pas parce qu'on réalise des personnages de synthèse qu'on ne voudra plus voir Al Pacino ou Robert De Niro. L'art pousse la technologie, la technologie nous force à penser plus loin que notre imagination mais elle ne remplacera jamais l'artiste.

" Jurassic Park " et " Lost World " ont été considérés comme un nouveau pas dans l'évolution des effets spéciaux. Avez-vous le même regard sur " Jurassic Pak 3 " ?
 
 S. Winston : " Jurassic Park 3 " est énormément plus évolué que ses prédécesseurs. Cet épisode est aussi avancé que les deux autres épisodes ne l'étaient à l'époque. Pourtant, " Jurassic Park " n'était pas le premier film à combiner images de synthèse et animations réelles. On avait pu voir ce procédé dans " Terminator 2 " avec le T-1000 dont la technique avait été influencée de " The Abyss ". On avait créé des marionnettes aussi grandes que les dinosaures auparavant avec " Alien ". La reine dans " Alien " était plus grande que le T-Rex. Le Spinosaure de " Jurassic Park 3 " est ce que j'ai construit de plus grand à ce jour. Il a l'apparence d'être réel parce qu'il l'est.   Faeries : Serait-il un compliment de vous remettre l'Oscar du meilleur acteur plutôt que celui des effets spéciaux pour " Jurassic Park 3 " ?   S. Winston : (rires) Si on attribue un Oscar à " Jurassic Park 3 ", je ne le garderai pas pour moi mais je l'offrirai à mon superviseur des effets spéciaux : John Rosengrant qui m'a énormément aidé lorsque j'étais sur le tournage de " A.I. ".

Que faites-vous de vos dinosaures à la fin du tournage ?
 
S. Winston : En règle générale, ils sont tous démontés. On en conserve certains pendant un petit temps. Les dinosaures du film ne tiennent pas longtemps car leur peau est faite de caoutchouc qui pourrit à la longue. Nous gardons certaines des armatures qui sont placées en exposition dans mes studios. On n'utilise jamais les mêmes éléments éternellement, on tente de développer notre travail. Les composants de " Aliens " furent du matériel de recherche pour " Terminator 2 ", et ainsi de suite pour " Jurassic Park 1 ", " Lost World ",…

Pouvons-nous parler de réelle compétition dans le milieu des effets spéciaux ?
 S. Winston : La plus grande compétition est entre nos propres créations. J'estime néanmoins que l'unique personne que je qualifierais d'inspiration et de compétition est Rick Baker qui vient de terminer " Planet of The Apes ". Il est extraordinaire. J'aurais voulu faire " Planet of The Apes " mais je suis très heureux qu'il ait obtenu le contrat. Si j'avais été Tim Burton, je lui aurais donné le film.

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