Interviews sur les Animatronics de Jurassic Park 3 avec Stan Winston
Propos recueillis par Laurent De Groof © (Bruxelles 2001)
Hyperliens vers les propos de l'interview
" Je dirige un studio qui crée les meilleurs animatronics et robots au monde, mais je ne connais rien en mécanique. " Depuis ses débuts dans le maquillage, Stan Winston nous a offert quelques uns des plus charismatiques personnages du cinéma comme le Terminator, les pingouins de " Batman Returns ", le Predator, la reine de " Aliens " et bien entendu les célèbres dinosaures de " Jurassic Park ". Récompensé par deux Oscars et de plusieurs Emmy Awards, Stan Winston dirige aujourd'hui l'un des plus grands studios d'Hollywood. Il est sans conteste l'un des meilleurs magiciens des effets spéciaux actuels.
Quand avez-vous attrapé le
virus du cinéma ?
S. Winston : J'ai fait mon premier film à l'âge
de douze ans. C'était un court métrage en 8 mm dans lequel je
me transformais en loup-garou après avoir été mordu par
un berger allemand. Ensuite, je mordais mon ami qui se changeait en vampire
et on finissait par s'entre-tuer. (rires) J'avais douze ans et c'était
mon premier film !
Que s'est-il passé ensuite ?
S. Winston : Après mon apprentissage à l'université
de Virginie, j'ai collaboré pendant trois ans avec les studios Disney
en Californie. J'ai suivi une formation de quelque 6000 heures. Ensuite, j'ai
travaillé sur mon premier long métrage de télévision
: " Gargoyles " pour lequel j'ai remporté un Television Academy
Award. Le film qui m'a apporté la véritable consécration
fut " Terminator ". J'ai fait beaucoup de films à succès
avant cela mais c'est celui-ci qui m'a offert la reconnaissance. C'était
un scénario extraordinaire, dirigé par un nouveau réalisateur
dans le milieu. James Cameron, qui a écrit et réalisé le
film, est un artiste brillant qui a conçu le Terminator de toute pièce.
Il avait déjà fait des esquisses du robot avant de venir me trouver.
Il m'a montré ses peintures de l'endosquelette et on l'a créé
en trois dimensions. James Cameron voulait au départ que je m'occupe
des effets de maquillage, notamment pour la scène où l'on voit
la robotique du personnage sous la peau humaine. Il désirait que tout
se fasse en animation d'image par image. J'avais beaucoup travaillé avec
des poupées et des animatronics à cette époque, je venais
d'ailleurs de finir le chien du film de John Carpenter " The Thing ",
et je lui ai proposé de construire le " Terminator " en taille
réelle. J'ai utilisé différentes techniques reprises de
Jim Henson pour " Dark Crystal ". Depuis mon travail sur " Terminator
", on ne me considère plus uniquement comme celui qui ne fait que
des maquillages, mais comme un artiste de la robotique.
Quel est le principe de l'animation
d'image par image (ndlr : en anglais, stop motion animation) ?
S. Winston : Pour l'animation d'image par image, on utilise
une petite poupée qu'on bouge et qu'on filme image par image. C'est le
type d'effets qu'on a utilisé pour " King Kong ". C'est la
base de l'animation avant l'arrivée des images de synthèse. On
peut voir également cette pratique dans " Jason and The Argonauts
".
Durant votre carrière,
vous avez collaboré avec des réalisateurs qu'on pourrait davantage
qualifier d'artistes, comme James Cameron, Tim Burton ou encore Steven Spielberg.
Comment décririez-vous Joe Johnston et son travail sur " Jurassic
Park 3 " ?
S. Winston : J'adore collaborer avec des réalisateurs
" visionnaires ". Ce qui manque singulièrement dans ce milieu.
J'ai eu beaucoup de chance de travailler avec des auteurs tels que Jim Cameron,
Tim Burton avec son univers cartoonesque et Steven Spielberg qui est certainement
le plus grand réalisateur au monde au niveau de l'étendue de sa
production. Il est inégalé à ce jour. D'autres metteurs
en scène ont certainement dirigé de meilleurs films que lui mais
il est le seul à avoir su passer d'un des plus grands thrillers du cinéma
comme " Jaws " à un film familiale tel " E.T. ",
un film d'aventure avec " Raiders of The Lost Ark " ou " Close
Encounters of The Third Kind ". Il a réalisé " Jurassic
Park " et " Schindler's List " la même année ! Il
a surpassé Hitchcock ou Capra en terme de diversité. Il a tout
fait. Joe Johnston est également un artiste et un réalisateur
remarquable. Il a débuté dans la création artistique. Il
a travaillé pendant des années chez I.L.M., il a fait du story
board. Il a créé et dessiné le robot pour le film "
The Iron Giant ". C'est un réalisateur qui sait véritablement
travailler avec son entourage, et raconter une histoire. Il a fait auparavant
un superbe film, " October Sky ". C'était une histoire incroyable.
Il est impliqué dans chaque étape de ses films. C'est un vrai
plaisir de collaborer avec quelqu'un comme lui car on sait que notre travail
sera à l'écran dans sa plus belle forme. Il sait ce qui fonctionne
ou non car on ne sait jamais si une poupée sera assez crédible.
C'est au montage que tout se fait. Un bon réalisateur sait faire des
choix, comme Joe Johnston. Lorsque je regarde " Jurassic Park 3 ",
je m'aperçois que mon travail n'a jamais paru aussi beau. Il a choisi
les meilleures images pour ce film. Il a su combiner synthèse et maquette
avec les jeux des acteurs. Joe Jonhston est la raison de la réussite
de " Jurassic Park 3 ". La star du film n'est pas le dinosaure, Stan
Winston ou I.L.M. mais son réalisateur. Il est autant la vedette de "
Jurassic Park 3 " que Steven Spielberg pour " Jurassic Park "
ou James Cameron de " Aliens ". Il a pris tout le travail de Steven
Spielberg, les créations de I.L.M. et de Stan Winston et les a surélevées
à un niveau qu'on n'avait jamais vu auparavant. Le film a plus d'humour,
plus de dinosaures, plus d'émotions, plus de tensions… On ne regarde
pas uniquement un défilé de dinosaures mais des personnages et
des créatures dans lesquels on croit et qui savent jouer. Lorsqu'on regarde
les velociraptors du film, on les voit véritablement écouter,
se parler, réagir entre eux et avec les humains.
Votre travail n'est-il pas de rendre
les poupées crédibles ?
S. Winston : C'est en effet mon travail mais à la fin, l'intégralité
du tournage appartient toujours au réalisateur.
Comment peut-on arriver à
faire jouer une marionnette ?
S. Winston : Les poupées sont manipulées par
des techniciens qui se transforment en acteurs. Les marionnettistes sont considérés
aux Etats-Unis comme des comédiens. Ils font partie du syndicat des acteurs
et sont payés et traités en tant que tels. Au générique
des films ce ne sont pas des personnes des effets spéciaux ou des techniciens,
ce sont des acteurs. Ils construisent les dinosaures, les dessinent ; et en
font des acteurs. S'ils ne savent pas jouer, ils ne sont pas engagés.
Vous considérez-vous dès
lors comme un acteur ?
J'ai débuté comme acteur mais je ne joue pas,
je ne manipule pas les marionnettes, je ne suis pas un créateur d'effets
spéciaux. Je dirige un studio qui crée les meilleurs animatronics
et robots au monde, mais je ne connais rien en mécanique. Je possède
une société d'image de synthèse, " Digital Domain
", mais je ne sais pas comment utiliser un ordinateur. Je ne sais même
pas ce qu'est un giga byte. Je suis un artiste qui vient de la comédie.
Je sais à quoi une créature doit ressembler et comment elle doit
jouer. Mon seul souci est que mon personnage soit réaliste. Les velociraptors
de ce film ne sont pas des marionnettes, des images de synthèse ou des
robots mais des dinosaures / acteurs. C'est grâce à leur performance
qu'on a peur d'eux. C'est très simple. Les acteurs croient en eux, ils
en ont peur et c'est la raison pour laquelle on croit aux dinosaures. Sans eux,
le film ne fonctionnerait pas. Faeries : Ne pensez-vous pas que
les images de synthèse gâchent un peu cette idée de performance
? S. Winston : Je pense que certains réalisateurs ne savent
pas les utiliser correctement. Ils se cachent derrière les images de
synthèse. Certaines choses ne peuvent plus se faire sans image de synthèse
mais il faut faire la part des choses. C'est un outil extraordinaire mais il
faut savoir en faire bon usage. Ce qui ne veut pas dire que je ne veux pas voir
des films entièrement en images de synthèse comme " Shrek
" ou " Toy Story ", ni de dessins animés comme "
The Lion King ". Il faut néanmoins un bon scénario pour appuyer
la technologie. Les images de synthèse ne remplaceront jamais aucune
autre technologie ou même la technique d'image par image. " Chicken
Run " fait partie des plus gros succès de l'année dernière
! On ne doit pas avoir peur des nouvelles technologies. Aux studios Stan Winston
on crée les meilleures créatures mécaniques au monde. Des
dinosaures plus vrais que nature. Et pourtant, on ne remplacera jamais les Muppets.
On ne prendra jamais la place de Kermit, la grenouille. Kermit sera toujours
un poupée " chaussette ". Si Kermit était plus avancé
qu'une marionnette, il ne serait pas ce qu'il est. C'est sa personnalité.
La technologie ne remplacera jamais l'art. Ce n'est pas parce que je crée
des animaux quasi réels que Kermit va mourir. Ce n'est pas parce qu'on
réalise des personnages de synthèse qu'on ne voudra plus voir
Al Pacino ou Robert De Niro. L'art pousse la technologie, la technologie nous
force à penser plus loin que notre imagination mais elle ne remplacera
jamais l'artiste.
" Jurassic Park
" et " Lost World " ont été considérés
comme un nouveau pas dans l'évolution des effets spéciaux. Avez-vous
le même regard sur " Jurassic Pak 3 " ?
S. Winston : " Jurassic Park 3 " est énormément
plus évolué que ses prédécesseurs. Cet épisode
est aussi avancé que les deux autres épisodes ne l'étaient
à l'époque. Pourtant, " Jurassic Park " n'était
pas le premier film à combiner images de synthèse et animations
réelles. On avait pu voir ce procédé dans " Terminator
2 " avec le T-1000 dont la technique avait été influencée
de " The Abyss ". On avait créé des marionnettes aussi
grandes que les dinosaures auparavant avec " Alien ". La reine dans
" Alien " était plus grande que le T-Rex. Le Spinosaure de
" Jurassic Park 3 " est ce que j'ai construit de plus grand à
ce jour. Il a l'apparence d'être réel parce qu'il l'est. Faeries
: Serait-il un compliment de vous remettre l'Oscar du meilleur acteur plutôt
que celui des effets spéciaux pour " Jurassic Park 3 " ? S.
Winston : (rires) Si on attribue un Oscar à " Jurassic Park 3 ",
je ne le garderai pas pour moi mais je l'offrirai à mon superviseur des
effets spéciaux : John Rosengrant qui m'a énormément aidé
lorsque j'étais sur le tournage de " A.I. ".
Que faites-vous de vos
dinosaures à la fin du tournage ?
S. Winston : En règle générale, ils sont
tous démontés. On en conserve certains pendant un petit temps.
Les dinosaures du film ne tiennent pas longtemps car leur peau est faite de
caoutchouc qui pourrit à la longue. Nous gardons certaines des armatures
qui sont placées en exposition dans mes studios. On n'utilise jamais
les mêmes éléments éternellement, on tente de développer
notre travail. Les composants de " Aliens " furent du matériel
de recherche pour " Terminator 2 ", et ainsi de suite pour "
Jurassic Park 1 ", " Lost World ",…
Pouvons-nous parler de réelle
compétition dans le milieu des effets spéciaux ?
S. Winston : La plus grande compétition est entre nos
propres créations. J'estime néanmoins que l'unique personne que
je qualifierais d'inspiration et de compétition est Rick Baker qui vient
de terminer " Planet of The Apes ". Il est extraordinaire. J'aurais
voulu faire " Planet of The Apes " mais je suis très heureux
qu'il ait obtenu le contrat. Si j'avais été Tim Burton, je lui
aurais donné le film.